Mettons les enfants à la rue !


Cette carte blanche a initialement été publiée dans Le Soir

Derrière ce titre provocateur se cache une demande sérieuse et légitime. Il n’est pas question, bien évidemment, de priver les plus jeunes d’un toit. Non. Notre souhait est de voir les enfants, particulièrement les citadins, passer plus de temps dehors à marcher, courir, jouer ou, tout simplement, discuter. Nous entendons déjà les critiques : « Les rues ne sont pas pour les petits, elles sont dangereuses. » C’est vrai. Et c’est là tout le problème. Mais heureusement, il existe des solutions.

À vrai dire, le titre de cette tribune devrait être « Remettons les enfants à la rue ! » En effet, nos arrière-grands-parents, quand ils étaient enfants (au début des années 1900) pouvaient s’éloigner, seuls, de plusieurs kilomètres de leur domicile. Au fil des générations, cette distance a considérablement diminué. Aujourd’hui, un enfant qu’on laisse jouer au bout de la rue est une exception.

Pourquoi cette régression ? Au cours du XXe siècle, les voitures ont pris de plus en plus de place en ville. D’abord, car elles ont reçu une part croissante de l’espace public (au moins la moitié est dédiée au trafic routier aujourd’hui à Bruxelles). Et ensuite, parce que les véhicules que l’on voit sur la voie publique grossissent à vue d’œil (les fameux SUV entre autres).

Résultat : les enfants et les jeunes sont plus exposés aux collisions, que ce soit en tant que passager (dans la voiture donc) ou que piéton/cycliste. Chaque jour, en Belgique, 13 enfants sont impliqués dans un accident sur le chemin de l’école. En Région bruxelloise, c’est surtout en tant que piétons (60 %) qu’ils sont victimes d’un accident. Et si ces chiffres sont en baisse par rapport à quelques décennies en arrière, ce n’est pas parce que les rues sont devenues moins dangereuses, mais parce que les enfants sont moins autorisés à sortir, pour qu’ils ne se fassent pas renverser.

De nombreux impacts sur le bien-être

Cet accaparement de l’espace public par le trafic routier a de nombreux impacts sur le bien-être des enfants et des jeunes. Outre le risque d’accident dont on vient de parler, les enfants sont particulièrement vulnérables à la pollution de l’air en Belgique. Les enfants ont une capacité pulmonaire plus faible et un système immunitaire moins développé. Comme ils sont plus petits que les adultes, ils sont également plus proches du sol, où la pollution s’accumule. Etant donné que leur métabolisme est en construction, les polluants qu’ils absorbent ont des effets plus pernicieux et plus durables sur leur santé. Enfin, la pollution atmosphérique commence à nuire aux enfants avant même leur naissance.

Les moteurs, les klaxons et les pneus sur le bitume engendrent aussi de la pollution sonore. Ce bruit nuit à la concentration des enfants, et donc à leur apprentissage, et peut également provoquer des problèmes de santé, entre autres liés à l’audition.

Enfin, garder les enfants dedans (parce qu’il y a trop de voitures dehors) réduit leur activité physique, une situation qui, là encore, a des conséquences en termes de santé et de bien-être. En Belgique, un enfant sur cinq est en surpoids. Une augmentation des déplacements actifs, marcher pour aller à l’école par exemple, ainsi que plus d’espaces verts pour jouer, aiderait non seulement à lutter contre ce problème, mais également contre les difficultés psychomotrices, cardiaques ou encore respiratoires observées chez les jeunes qui ne bougent pas assez.

Créer des rues scolaires

Alors que faire ? En premier lieu, il est urgent de créer des rues scolaires piétonnes et végétalisées. Une rue scolaire est une rue (ou portion de rue) qui passe devant une école et qui est réservée à la marche, au vélo, au jeu et à la détente. Il n’en existe que très peu en Belgique. À Bruxelles, moins de 7 % des écoles maternelles et primaires en ont une. Et la grande majorité d’entre elles ne sont fermées au trafic routier que 30 minutes le matin, au moment de l’entrée des classes.

Cet aménagement a pourtant de nombreux avantages : moins de pollution de l’air et de bruit à l’école (où les enfants passent près de la moitié de l’année), moins de risques d’accident devant l’école, plus d’espace de jeu, d’échange et de détente (pour les écoliers mais aussi pour les parents, les enseignants et les riverains). De plus, la rue scolaire encourage les parents à ne pas déposer leurs enfants en voiture devant l’école et donc à les faire marcher plus souvent. Enfin, si elle est verdurisée, c’est-à-dire qu’on y plante des arbres, la rue scolaire protège aussi les enfants et les riverains des vagues de chaleur.

Des sondages réalisés récemment en France par Unicef et la Ligue nationale contre le cancer montrent respectivement que 84 % des parents qui utilisent surtout la voiture pour les trajets domicile-école aimeraient réduire cet usage, et que le même pourcentage de parents est favorable à la création de rues scolaires.

Réduire la taille des voitures

En parallèle, il est essentiel de réduire la taille des voitures et l’espace qui leur est réservé. En effet, dans un véhicule adapté à la ville (une petite citadine plutôt qu’un gros SUV), la visibilité est meilleure et le risque de collision avec un enfant est plus faible. De plus, moins d’espace pour les voitures veut dire plus d’espace pour les trottoirs, les pistes cyclables ou encore les lignes de bus et de tram, ce qui permettrait à plus d’enfants d’aller à l’école à pied ou à vélo.

Les enfants, comme les adultes, ont le droit de profiter de l’espace public en sécurité et de respirer un air sain. Nous demandons donc à nos élus d’accélérer la mise en place de mesures, comme les rues scolaires, en Belgique pour que nous puissions remettre nos enfants à la rue en toute quiétude.

Par Pierre Dornier, directeur de l’asbl Les chercheurs d’air; Christèle Devos, directrice générale d’Unicef Belgique


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